Sautes! [PV :: Keenan]

Sautes!

[PV Keenan]

La nuit était tombée autour de moi, un calme quelque peu surnaturel régnait. Je marchais d'un pas apaisé à travers la masse d’arbres appartenant à Forks. Oui, Forks, je n’avais pas envie d’aller directement à la Push. Que ferrais-je à la réserve, mes tours de garde ? Ils n’avaient pas besoin de moi pour cela, je ne leur suis pas rattachée, je ne l’ai jamais été d’ailleurs. Je souriais et levais mes yeux au ciel. La lune était pleine et luisait de mille feux ce soir. Cet astre m’intriguait, une fois que je m’étais mise à la fixer, je ne pouvais plus en décrocher mon regard, ou alors avec difficulté. Je soupirais, rester ainsi immobile en fixant un point lumineux me donnait envie de dormir. Je baissais la tête et la secouais de gauche à droite pour me réveiller, puis courais à travers la forêt. Je sentais les ronces et les branches sur mon passage, mais je n’avais pas mal, je ne sentais rien mis à part le fait que l’on me donnait de petits coups dans les jambes. Je me mis à accélérer l’allure en voyant une jeune souche au loin. Je la connaissais bien cette souche, c’est sous ses racines que je cachais mes vêtements. Je pris appuie sur cette dernière et m’amusa à faire un salto. « Ta dam ! » Tout en riant pour moi-même, j’ôtais mes vieux vêtements et les cachaient sous les racines. Ma transformation fût plus ou moins rapide, avec de l’entrainement on arrive à tout.

Je ne sais combien de temps j’avais couru sous ma forme de louve, je ne voyais que l’éclat de la lune disparaitre petit à petit. Je faisais un dernier sprint, sautant au dessus des troncs et des arbres déracinés. En sautant à cette allure, j’avais l’impression de m’envoler, de m’élever dans les airs. Grace au vent et à ma vitesse, mon pelage d’un blanc immaculé voletait vers l’arrière, quelle douce sensation… En revoyant ma souche je m’arrêtais net, faisant voler feuilles, brindilles et terre un peu partout.

Je me rhabillais le plus rapidement possible. Je constatais que mon pelage blanc n'avait pas été si "immaculé" que ça, bien au contraire, j'étais pleine de boue et de branchages. La fatigue se faisait de plus en plus sentir et je pensais déjà à mon grand lit douillet… Et à mon appartement vide, vide de ma petite Leah. Une larme coula le long de ma joue, je la chassais bien vite. Il ne fallait plus que je pleure le départ de mon amie, elle reviendra surement… un jour. Je marchais tranquillement vers le sommet des falaises.

Une fois arrivée à destination, je me mis assise tout au bord d’une d’entre elles et regardais l’horizon. Le soleil allait se lever derrière la grande masse d’eau que formait cette mer. Les nuages de cotons se tintaient de milliers de couleurs, la plupart étaient invisibles à l’œil humain. Je me rendais compte à quel point j’avais de la chance d’avoir autant de facultés, d’avoir tous ses sens plus développés que la normale. J’étais bien dans mon état de louve, finalement je remerciais mes origines. Les quelques jours de douleur que j’avais enduré en valaient la peine. Je balançais mes pieds dans le vide tout en sachant que quelqu’un était derrière moi. Je n’avais pas reconnu la personne, mais ne me retournais pas. J’attendais dans le plus grand calme que cette personne daigne se montrer.

Comme je me l’étais promis dans la journée, une fois la nuit tombée, je me rendis sur les falaises surplombant First Beach, sous ma forme de loup. Je m’avançai lentement au bord du gouffre et penchai la tête pour regarder le reflet de l’astre lunaire dans les flots qu’aucune vague ne venait troubler à cette heure tardive. Le vent s’était tu un instant, et il régnait une grande quiétude. Chose extraordinaire ici, le ciel était pour une fois dégagé. Je relevai le museau et contemplai directement la Lune. Me laissant envahir par la reconnaissance que j’éprouvais envers cet astre et la banshee qui m’avait transformé, je fermai mes yeux d’or et rejetai la tête en arrière. Mon hurlement déchira le silence. L’endroit était isolé, de sorte que personne ne m’entendrait. Enfin de toute façon, que m’importait que quelqu’un m’entende ? Je modulai mon hurlement qui devint un chant, un chant dédié à la Lune. Je restai ainsi plusieurs heures durant, à hurler mes dévotions à l’astre nocturne que je chérissais.

Puis, sans aucune forme de procès, je me détournai et partis courir dans la forêt, en direction de Forks, vers l’arbre proche des falaises surplombant la ville où j’avais laissé mes vêtements. Je m’abandonnai à l’ivresse de la vitesse, à la sensation de puissance dans mes muscles, au sifflement de l’air dans mes oreilles, à sa caresse sur mon pelage, au sentiment de liberté qui découlait de tout cela… C’était pour ça que j’étais reconnaissant à cette banshee. Pour cela et beaucoup d’autres choses encore. Une malédiction ? Que ceux de la famille qui pensaient ainsi pouvaient être déprimants… Après tout, bénédiction ou malédiction, l’important était de jouir de notre état et de profiter de ses avantages. À quoi bon se morfondre, avec autant de temps et de possibilités devant soi ? Bah, au pire, après un coup de blues, une bouteille ou un joint et on repart. Je finis par ne plus penser à rien et me concentrai sur le plaisir que me procurait cette course et sur les odeurs de la forêt environnante.

Progressivement, je commençai à entendre un bruit de pattes un peu plus légères que les miennes, mais dont la nature ne m’échappais pas : il y avait un autre loup dans le coin. Je me faufilai dans un buisson et ne bougeai plus, histoire de ne pas trahir ma présence. Peu de temps plus tard, j’eus la confirmation de ce que j’avais supposé : un éclair de fourrure blanche me passa sous le nez. Alexeï ? pensai-je. Mais non, ce ne pouvait pas être mon frère, il était bien plus gros que ça. Curieux, j’allai jusqu’à l’arbre dans lequel j’avais laissé mes vêtements et repris forme humaine. Après être monté chercher mes effets dissimulés dans les frondaisons, je redescendis m’habiller. Puis je revins à l’endroit où j’avais croisé le mystérieux loup blanc et suivis ses traces. Des traces qui menaient à une souche avant de changer de nature pour devenir des empreintes humaines. Sans me laisser démonter je continuai de les suivre.

L’aube n’allait pas tarder à poindre quand je perdis la piste. J’étais arrivé à proximité d’une bande de terrain découvert, bordé d’un côté par la forêt où je me trouvais et de l’autre côté par des falaises surplombant la ville de Forks. Assise au bord de la falaise, une jeune femme balançait ses jambes au-dessus du vide. Elle était plus grande que la moyenne et avait des cheveux blonds et bouclés. La voyant de dos, je ne pouvais pas en dire plus. Un changement dans sa respiration, audible à mes oreilles de musicien dans le silence nocturne, m’indiqua qu’elle savait que j’étais là. Puisqu’il en était ainsi, autant faire connaissance. Après tout, je l’avais pistée pendant plusieurs heures pour satisfaire ma curiosité. Je m’approchai silencieusement et pris la parole d’une voix avenante.

- Bonjour mademoiselle. Me permettez-vous de m’asseoir à vos côtés pour regarder l’aube se lever ?

En effet, les premiers rayons de l’astre solaire commençaient à éclaircir l’horizon. L’aube et le crépuscule étaient sans doute les moments de la journée que je préférais. La magnificence du ciel éclairé par les premiers rayons du soleil levant ou les derniers rayons du soleil couchant avait quelque chose de magique, de merveilleux. Il était difficile de trouver des mots assez forts pour décrire une telle beauté, qui emplissait mon âme d’une joie sans limites.

Je sentais un regard glisser le long de mon dos, je ne bronchais pas. Au lieu de me retourner et de montrer une vive curiosité à l’égard de l’inconnu, je continuais à fixer le ciel surplombant la mer vaste, incontrôlable, surprenante… et magnifique.
Un vent frais m’apporta des zestes d’odeur. Ce n’était pas un humain, ni un vampire, mais un Valgùlfr. Que pourrait-il m’arriver ? Rien, c’est bien ça le bémol lorsque nous sommes l’un des plus grands prédateur de cette belle planète… L’on ne craint plus rien, il n’y a plus un doigt d’adrénaline, la vie peu même devenir ennuyante si on ne sait pas optimiser.

- Bonjour mademoiselle. Me permettez-vous de m’asseoir à vos côtés pour regarder l’aube se lever ?

Je me tournais lentement, laissant un sourire éclairer mon visage.

- Comment pourrais-je refuser cela à un frère ? Venez donc.

Je me décalais, laissant une place à ma droite sur la corniche. Je dévisageais rapidement le visiteur, cheveux chocolat mi-longs, yeux noisette… Nutella ! Les yeux grands ouverts, je fixais un point dans l’immensité des vagues. Serais-tu devenue folle Karen ? Je soupirais, je n’avais même pas faim, et pourtant.

- Cela peut paraitre vieux jeu… Mais je me présente, Karen Lullaby.

Je serrais la main du jeune homme tout en souriant et me perdais fasse à l’horizon… Que de beauté… Que de grandeur… Quel espoir ! Le soleil se levait doucement au dessus du grand bleu. Une envie de grandir intérieurement au gré des écumes m’empoigna l’esprit. Quel besoin d’extérioriser cette euphorie qui s’empare de moi, qui me fait prisonnière de cette grandeur infinie. Comment rejoindre ce sentiment ? J’aimerais être l’ombre d’un esprit, esprit voyageur planant entre le réel et le spirituel, celle qui ne connaîtrait plus la fatalité du matériel, qui redessinerait les paysages terrestres depuis ces espaces éthérés. Affranchi de l’humanité, de toute crainte de se perdre, de tout désir de s’abandonner aux noirceurs de nos âmes, devenu simple sentiment. Cette profondeur restera une utopie à l’échelle d’une vie…
Mon esprit m’a ouvert les portes de l’imaginaire, ce monde parallèle à la cruelle réalité. Tout me paraît si calme et si doux ici. Je me s’en m’envoler. Et de même que sur les flots, où l’on aperçoit l’horizon qui ne mène nulle part, je pressens l’infini qui cache ses nombreux secrets. Le désir de liberté essaie de s’engouffrer en moi, je le laisse peu à peu m’envahir pour que ce rêve ne cesse jamais.
Que faire pour continuer sur cette voie ? Et si je sautais ? Ce ne serait pas la première fois. Je regardais une dernière fois à ma droite, je l’avais oublié celui-ci. Je soupirais d’aise et regardais à nouveaux loin devant moi. Et si je le poussais avec moi dans les eaux déchainées à nos pieds ? Un sourire sadique se dessina sur mon visage...

Elle se retourna, et un large sourire éclaira son visage. Elle était assez belle, et semblait amicale.

- Comment pourrais-je refuser cela à un frère ? Venez donc.

Un frère. Elle savait donc ce que j’étais. Tout comme je savais ce qu’elle était. Ce n’était que justice. Elle se décala sur la gauche et je pris place à sa droite, laissant mes jambes se balancer au-dessus des vagues qui se brisaient sur la falaise en produisant un son très agréable qui me rappelait de nombreux souvenirs. Je levai les yeux et contemplai l’aube naissante. Un sourire absent s’esquissa sur mon visage. Un sourire léger, évanescent, mais évocateur d’une joie sans limite, la joie unique engendrée par la magnificence du spectacle. Malgré plus de mille ans d’existence, je n’avais jamais vu deux levers de soleil identiques. Je souriais également parce que je sentais le regard de cette jeune fille sur moi, et que cela m’était drôle, pour une raison inexplicable. Elle détourna le regard en soupirant, avant de prendre la parole.

- Cela peut paraître vieux jeu… Mais je me présente, Karen Lullaby.

Un petit rire joyeux m’échappa. Vieux jeu… pas tant que ça. Moins vieux que moi en tout cas. Et se présenter était la base de toute relation. Car si l’on ne faisait pas connaissance, on ne pourrait pas partir sur des bases solides. Je me tournai vers elle et serrait la main qu’elle me tendait. Mon sourire s’élargit.

- Keenan Valgùlfr. Et se présenter n’est absolument pas vieux jeu. Ravi de faire votre connaissance, Karen.

Je lâchai sa main et me détournai d’elle. Le ciel à l’est se colorait de vert et de rose pâle. C’était superbe. Grandiose. Je sentais mon esprit s’élever à la mesure que le ciel s’éclairait. Puis un changement dans l’air m’indiqua la modification d’humeur de ma voisine. Je sentis son regard sur moi, puis elle soupira. Lui jetant un regard furtif, je vis su sourire se dessiner sur son visage. Un sourire qui ne m’inspirait pas confiance. Méfiant, je me levai puis, pris d’une soudaine folie douce, je la poussai d’un coup vers l’océan. Je la regardai tomber et éclatai d’un rire franc et joyeux.

- Tu croyais m’avoir ? Je ne suis pas né de la dernière pluie, tu sais. Ce genre de ruses ne fonctionne pas sur moi, désolé.

D’un coup, je fus pris d’un accès de mélancolie. Je voulais revoir les miens. Pire encore, je voulais revoir Erwan. Et Léonard. Et tous ces amis morts depuis si longtemps… Non en effet je n’étais pas nés de la dernière pluie. Mais la plupart de mes amis n’étaient pas morts de la dernière pluie non plus. J’aurais voulu qu’Ael ou Nils soient là. J’aurais pu noyer mon chagrin dans l’alcool. Tiens, mais… Je n’avais pas d’alcool sur moi, mais j’avais autre chose. J’allais prendre léger, parce que je voulais rester relativement lucide tout de même. Fouillant dans ma sacoche, je sortis un joint et l’allumai avec mon briquet. Tirant une bouffée du joint, je soupirai d’aise. Mon chagrin s’envola avec la fumée que je soufflais. Puis je sentis une présence dans mon dos. Karen devait être sortie de l’eau…

- Désolé pour tout à l’heure… Voulez-vous bien me pardonner, mademoiselle ?

Ma voix était d’une douceur étudiée. Cela se révélait souvent utile pour persuader les gens…

Je mordillais ma lèvre inférieure tout en fixant Keenan d’un air songeur. Comment pourrais-je faire pour sauter et le tirer avec moi dans l’eau ? Je n’eu pas le temps de bien réfléchir à cette question que Keenan se levait déjà. Je fronçais les sourcils. ‘C’est trop tard maintenant Karen.’ Je suivis le jeune homme du coin de l’œil, étudiant ses moindres faits et gestes. Aucun signe ne prédisait son acte et en un rien de temps je me retrouvais dans les airs, chutant vers l’océan.

- Tu croyais m’avoir ? Je ne suis pas né de la dernière pluie, tu sais. Ce genre de ruses ne fonctionne pas sur moi, désolé.

Je riais aux éclats, s’il pensait que j’allais me laisser faire aussi facilement… Je jetais mes bras en avant et plongeais droit dans les vagues. Après quelques instants passés sous l’eau je remontais à la surface, l’eau n’était ni chaude ni froide, comme toujours. Je passais mes deux mains dans les cheveux pour les tirer en arrière et dégager mon visage, puis me laissais transporter jusqu’à la plage. Je souriais en songeant ce que je pourrais faire déguster au jeune homme, plusieurs idées me vinrent à l’esprit mais je n’en gardais aucunes. S’il avait deviné mon ancien plan il devinerait trop facilement ceux-ci, il fallait que je trouve quelque chose de simpliste, il fallait que je me montre imprévisible… ‘Ca va pas être facile.’ Une fois à terre, je secouais la tête de gauche à droite pour enlever le plus gros de l’eau salé que contenaient mes cheveux, et courais dans les bois pour remonter en haut de la falaise. C’est en marchant sur une ronce que je remarquais que j’avais perdu mes chaussures dans la mer. Je soupirais, il va déguster cet imbécile. Quelques secondes me suffirent pour me retrouver derrière Keenan, l’odeur de son joint me rappela la journée que j’avais passée en compagnie de… machin, au cimetière. J’esquissais un sourire en coin en réalisant que j’avais encore son sachet de Marijuana chez moi.

- Désolé pour tout à l’heure… Voulez-vous bien me pardonner, mademoiselle ?

Je laissais échapper un petit rire. ‘Si tu penses m’avoir comme ça, tu as perdu d’avance mon mignon !’

- Ce fût très habile de votre part. J’observais un moment de silence pour regarder la fumée s’élever dans les airs. Mais à présent souciez vous de votre propre fortune l’ami, qui sait ce qui pourrait arriver maintenant que vous avez réveillé mon esprit tortionnaire !

Comme pour accompagner le geste à la parole, mon sourire sadique refit surface. Je m’avançais prudemment vers lui et reprenais ma place à ses côtés. ‘Cette fois s’il me pousse j’attrape sa jambe et je l’entraine avec moi !’
Couchée sur le dos, un bras derrière la nuque et les yeux clos, je respirais tranquillement la douce odeur que dégageait le joint de Keenan tout en réfléchissant à ma vengeance.

- Excusez moi si ma question vous semble indiscrète, sachez que vous n’êtes pas obligez d’y répondre si cela vous gênes. Mais, vous avez quel âge ? En réalité je veux dire.

Je pris appuis sur mes coudes et fixais le jeune homme avec insistance. Enfin, "jeune homme", on verra ça. Je me perdis dans la contemplation des yeux noisettes de Keenan, avaient-ils un fond ? Je souriais, il me plaisait celui-ci. J’attendais sa réponse avec une autre en tête, à savoir s’il comptait rester longtemps dans le coin ou non. Enfin il y avait du bougement, si j’arrivais à réunir Keenan, la folle du cimetière et moi-même ça devrait donner quelque chose.

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